LLOYD’S

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Le Lloyd’s

Pendant trois siècles, Lloyd’s of London a régné sur le monde de l’assurance. Consacrée, par définition, à la gestion du risque, cette institution a subi, à partir de 1987, le choc d’une série de catastrophes à l’ampleur desquelles ses structures se sont révélées mal adaptées et qui ont été le catalyseur d’un grave conflit interne.

Cette institution est dominante en Grande-Bretagne et occupe une place importante sur le plan international. Elle intervient, en valeur, pour environ les deux tiers des polices souscrites sur le marché national – dont 80 p. 100 pour les risques maritimes, aéronautiques et de transports publics – et plus de 6 p. 100 du marché mondial de la réassurance. Ces résultats sont étroitement liés à l’histoire économique de l’Angleterre, vieille nation maritime.

Une institution atypique

Pas plus que la banque, l’assurance n’est née dans ce pays. Elle y a été introduite au XVIe siècle par les Lombards, pour répondre au besoin d’assurer la sécurité financière de la navigation. Cette dernière prit un essor nouveau vers le milieu du XVIIe siècle, accompagné d’un développement rapide du négoce à Londres. Les transactions s’effectuaient de façon informelle dans les estaminets des rues commerçantes, lieux de rencontre où l’on consommait le café, une boisson que découvrait alors l’Europe. Vers la fin du siècle, le coffee house d’Edward Lloyd faisait exception, le propriétaire étant connu pour la fiabilité de ses informations sur la vie maritime. Il publiait notamment la liste des navires battant pavillon britannique considérés comme manquants. Cela lui attirait une clientèle de navigateurs, d’affréteurs et de négociants internationaux. Le document est d’ailleurs toujours publié, sous le titre Lloyd’s List , par Lloyd’s London Press, dont la vente a été décidée en août 1995 dans le cadre du plan d’économies.

La procédure particulière de couverture des risques par le Lloyd’s remonte aux origines de cette institution. Celle-ci n’est pas une entreprise, c’est un marché. Les armateurs qui voulaient assurer un navire dépêchaient un représentant dans les tavernes, un carnet à la main, pour recruter les détenteurs de liquidités désireux de les faire fructifier en souscrivant à une partie du risque.

Sous sa forme moderne, le marché du Lloyd’s se présente comme une constellation d’entreprises, d’individus agissant en leur nom personnel et de corps constitués, en grande partie régis par l’autoréglementation. Depuis les débuts historiques, la fonction essentielle de l’assurance a été remplie par des “syndicats” autonomes. Ces derniers sont composés de souscripteurs (underwriters ) prenant chacun une part quantifiée du risque, pour un contrat donné. Ils ont le statut d’un joint-venture (sorte de groupement d’intérêt économique) à durée limitée, qui doit être reconstitué chaque année. Plusieurs syndicats peuvent participer à la couverture d’un contrat donné, mais la responsabilité de chacun de ses membres est limitée à la part qu’il y a prise, tout en la garantissant par l’ensemble de ses biens.

Ainsi articulée, la structure du Lloyd’s n’a connu pendant une centaine d’années qu’une évolution graduelle, marquée notamment par l’adoption d’une réglementation applicable aux membres et par l’autorité grandissante du comité directeur. La mesure législative qui a le plus influencé les destinées du Lloyd’s est ancienne: c’est la loi qui fut votée à la suite de la “South Sea Bubble ”, la série de banqueroutes occasionnée par l’éclatement de la bulle spéculative de 1720. Pour en prévenir le renouvellement, le Bubble Act interdit l’assurance maritime aux sociétés commerciales, à l’exception de la Royal Exchange Assurance et des London Assurance Companies, deux entreprises qui se trouvaient être fort peu dynamiques. Le Lloyd’s, qui présentait la particularité de n’utiliser que le capital personnel de leurs membres, n’entrait pas dans le champ d’application de ce texte. Il disposa ainsi d’un quasi-monopole qui dura jusqu’en 1824, date à laquelle le marché de l’assurance fut libéralisé.

Une concurrence plus sérieuse apparut pour les nouveaux modes de transport, en particulier l’automobile et l’aviation. Là encore, le Lloyd’s sut s’adapter aux nouveaux besoins du marché. La promptitude des réponses aux situations nouvelles a pour corollaire la disposition à couvrir les risques les plus divers. On a cité le contrat concernant le prix promis à celui, ou à celle, qui capturera le monstre du Loch Ness, mais d’autres, assurant par exemple contre la pluie le jour d’un gala en plein air ou le palais d’un goûteur de vins, caractérisent de façon plus sérieuse une souplesse sans égale dans l’exercice de cette profession.

Le Lloyd’s dans la tourmente

Le premier épisode d’une série de catastrophes qui allaient secouer la vénérable institution eut lieu en novembre 1987. Ce furent les tempêtes qui ravagèrent le sud de l’Angleterre, coûtant aux assureurs du Lloyd’s plus de 1 milliard de dollars. La situation empira en 1988 avec l’explosion de la plate-forme pétrolière Piper-Alpha en mer du Nord (1,5 milliard de dollars) et l’ouragan Gilbert (1 milliard). Les sinistres majeurs allèrent crescendo au cours des deux années suivantes, avec des coûts assurés totalisant près de 8 milliards de dollars en 1989 (dont 4,1 milliards pour l’ouragan Hugo) et plus de 10,4 milliards en 1990. L’exercice 1991 fut à nouveau difficilement supportable pour les syndicats du Lloyd’s qui durent faire face à 5,1 milliards de dollars de coûts pour deux catastrophes majeures, dont le typhon Mireille (3,9 milliards de dollars). D’autres difficultés ont eu pour origine des contrats souscrits aux États-Unis pour la couverture de risques à long terme et concernant en particulier l’usage de l’amiante ou la pollution industrielle.

Les comptes du marché du Lloyd’s ont accusé une perte de plus de 8 milliards de livres entre 1988 et 1992; les comptes de 1993, rendus publics au milieu de 1996, ont traduit un retour aux bénéfices. Le résultat de chaque exercice comptable n’est en effet arrêté qu’au bout de trois ans, selon une tradition héritée de l’assurance maritime à l’époque de la marine à voile (le principe d’une publication des résultats sur une base annuelle a été retenu en 1995, en vue de favoriser les apports de capitaux, mais ne devait être que progressivement mis en œuvre).

Le Lloyd’s a été fragilisé par sa structure atypique. À l’époque où commence la série des catastrophes, les souscripteurs au sein des syndicats sont uniquement des particuliers, les names , dont la responsabilité commerciale est illimitée. Pour qu’ils soient admis, leur patrimoine doit se chiffrer à au moins 250 000 livres sterling.

Ils n’exercent généralement pas d’activité professionnelle dans l’assurance (il s’agit alors d’external members ), mais certains figurent dans le personnel des agents de syndicats (ce sont les working members ). Les premiers, extérieurs au sérail, n’ont pas bénéficié des informations privilégiées qui leur auraient permis de se mettre à l’abri lorsque les affaires ont mal tourné. Pour le choix d’un syndicat et les risques qu’ils s’engageront à souscrire, les names s’en remettent à l’avis de l’agent de ce syndicat, personne physique ou morale qui en assure la direction. Les agents sont en rapport avec une série de syndicats pour répondre aux besoins de la clientèle (représentée par les brokers , les courtiers du Lloyd’s), tout en se spécialisant par la nature et l’importance des risques couverts.

Les fléaux naturels sont par essence imprévisibles, mais leurs conséquences le sont moins lorsqu’ils se succèdent autant qu’entre 1987 et 1991. La rigueur professionnelle a fait défaut au moment où elle aurait été particulièrement nécessaire. Les années 1980 avaient été une époque d’argent facile, et le marché du Lloyd’s était apparu comme un lieu privilégié pour en gagner davantage. Des investisseurs américains sont venus gonfler l’effectif des names, qui s’est accru de 123 p. 100 entre 1976 et 1981 et de 75 p. 100 de 1981 à 1987. On en comptait alors près de 34 000, dont une bonne partie ne disposaient pas d’une capacité financière suffisante (leur nombre s’est réduit à 12 000 en 1996, celui des syndicats passant, au cours de la même période, de 410 à 160). Le montant des capitaux affecté à ce marché (sa “capacité”) a augmenté de 463 p. 100 sur la période 1977-1987, ce qui a fait fondre le montant des primes pour les risques élevés. Après la série de catastrophes, plus de 2 000 names se sont trouvés dans l’impossibilité de faire face à leurs obligations, ou ont refusé de le faire. Ils se sont estimés lésés par la carence de leurs agents dans leur responsabilité de conseil. La sourde opposition des external names aux working names , qui avaient pu tirer leur épingle du jeu grâce à une position d’initiés, a dégénéré en révolte. Pour la première fois de son histoire, le Lloyd’s était menacé de défaut de paiement, même si, dans le court terme, les réserves financières ont permis d’indemniser les victimes des sinistres.

Apurer le passé, préparer l’avenir

La direction du Lloyd’s affrontait alors une tâche herculéenne pour résoudre à la fois le problème des responsabilités passées et celui des futures indemnités afférentes aux risques à long terme, tout en remodelant l’organisation pour lui permettre de faire face aux réalités nouvelles.

La première réponse à ces défis fut apportée en janvier 1992 avec le rapport d’un groupe de travail dirigé par David Rowland, le président de la firme internationale de courtage Sedgwick. Ce document était inspiré par un petit groupe de réformateurs au sein du Lloyd’s Underwriting Agents Association, le groupement des dirigeants de syndicats. Le principe de la responsabilité illimitée des membres ne devait plus constituer, selon eux, un obstacle à l’élargissement de la base de capital dont se nourrit l’institution. Il était donc prévu d’adjoindre, aux côtés des names attachés à cette formule traditionnelle, d’autres membres dont la responsabilité serait limitée, ainsi que des sociétés, formées selon le même principe, qui seraient exclusivement consacrées à la souscription dans les syndicats. Il était aussi proposé d’ouvrir la possibilité que la charge des names soit cédée aux enchères, et non plus seulement de gré à gré, de réorganiser la direction de l’institution en vue d’assurer l’indépendance de la fonction réglementaire, d’améliorer la gestion, notamment dans le domaine des coûts, et de créer un pôle centralisé de services à la disposition de tous les membres. Motivé surtout par des considérations commerciales (comment pallier les pertes catastrophiques accumulées depuis la fin des années 1980?), le rapport de la commission Rowland ne pouvait que soulever les problèmes réglementaires posés par la crise.

Les idées du rapport Rowland ont été reprises dans le Business Plan d’avril 1993. David Rowland était devenu le chairman du Lloyd’s. Ce programme d’action était destiné à restaurer la profitabilité de l’institution, à liquider les contentieux internes et à moderniser les structures. Il a été prévu de créer une compagnie de réassurance, Newco, ultérieurement rebaptisée Equitas, pour la couverture des risques futurs à long terme, tels que ceux qui sont liés aux problèmes environnementaux. Il s’y est ajouté le projet d’une centrale de services administratifs à la disposition de toutes les agences, et celui de la mise en place accélérée d’un système informatisé en matière de gestion. Les sociétés de souscription (corporate names ) pourront être propriétaires d’une agence de syndicat, ce qui constituera l’embryon de compagnies d’assurance fonctionnant dans le cadre du Lloyd’s. Les normes professionnelles seront améliorées.

Le dispositif d’avril 1993 a été complété par le Reconstruction and Renewal Plan présenté en mai 1995, lui-même confirmé par l’assemblée générale du 15 juillet 1996, qui a voulu tirer un trait sur le passé. En échange d’un arrêt des procédures judiciaires qu’ils ont engagées, les names en conflit avec leurs agents sont indemnisés de leurs pertes à hauteur de quelque 3 milliards de livres, par versement direct et abandon de créances sur les membres en défaut de paiement.

En outre, Equitas se voit attribuer la couverture de tous les sinistres antérieurs à 1993. Cette couverture doit donner aux names la possibilité de quitter le Lloyd’s après y avoir souscrit une police, de publier les résultats financiers dans l’année suivant la fin de l’exercice et de créer un “nouveau Lloyd’s” commençant rétroactivement au 1er janvier 1993, les obligations de l’“ancien Lloyd’s” étant garanties par Equitas.

Trouver des capitaux

L’entrée de personnes morales dans les syndicats de souscription a commencé en 1994, avec la participation de 95 sociétés. En 1995, leur capacité de souscription atteignait 2,36 milliards de livres pour 140 sociétés, montant à comparer à celui de 7,83 milliards pour les 14 744 names en activité à cette date. Les départs qui se sont multipliés parmi ces derniers seront-ils compensés par l’arrivée des institutionnels?

Indépendamment du contentieux concernant les names, des ombres vont affecter l’avenir du Lloyd’s pendant plusieurs années. La mise en œuvre du plan de sauvetage intervient alors que le cycle de l’assurance internationale amorce une phase descendante, impliquant une tendance à la baisse du montant des primes. L’amenuisement de la profitabilité devra être supporté au moment où le marché londonien subit une concurrence accrue de ses rivaux, principalement japonais et français, le renforcement des compagnies allemandes sur leur territoire national et l’affirmation des Bermudes comme centre offshore.

Le maintien d’une structure traditionnelle paraît difficilement conciliable avec la nécessité pour les assureurs de disposer de masses toujours croissantes de capitaux. Sur le marché international, de faibles mouvements des taux d’intérêt entraînent des conséquences financières supérieures au coût des catastrophes dont le Lloyd’s a eu à pâtir. L’ouverture en 1992 au Chicago Board of Trade d’un marché d’options et de futurs indexés sur les primes de risque de catastrophe a constitué un signe des temps. La City de Londres réunit, certes, tous les experts dont le Lloyd’s aurait besoin pour acquérir les attributs d’une grande compagnie intégrée, et quelque peu “banalisée”. Mais, à terme, tout dépendra de la confiance que la réforme inspirera aux investisseurs.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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